jeudi 17 mars 2022

Les noces de diamant de Max et Ludovica en Bavière en 1888, un article du Gaulois

Dessin de presse hors article, provenance inconnue

Un article du Gaulois du 30 août 1888 

NOCES DE DIAMANT

    Sur une des rives du ravissant lac de Starnberg s'élève un vieux château entouré d'un parc aux arbres séculaires, dont les cimes se confondent avec les murs crénelés.
    L'onde azurée court à travers les collines, les villas et les jardins ; au loin se dessinent les roches des Alpes et aussi les contours de l'abbaye des Bénédictins.
  C'est Possenhofen, le manoir historique, où se sont réunis les représentants d'illustres familles souveraines pour célébrer un double anniversaire.
  Aujourd'hui, la duchesse Louise [Ludovica] Wilhelmine, princesse de Bavière, fête le quatre-vingtième anniversaire de sa naissance et dans quelques jours, le 9 septembre, ses noces de diamant avec le duc Maximilien.
    La solennité sera tout intime ; la population riveraine, qui a toujours partagé les joies et les douleurs de la famille ducale et considère ses destinées comme siennes, y prendra seule part en offrant des fleurs et en chantant les chants des montagnards.
    C'est le 9 septembre 1828 que le duc Maximilien épousa, au château du lac de Teger, sa cousine, la princesse Louise, et le jubilé reverra le couple heureux au milieu d'une guirlande d'enfants, de petits-enfants et d'arrière-petits-enfants. Le prince palatin Maximilien IV, qui réunit toutes les possessions des lignes de Wittelsbach, et sous lequel la Bavière, augmentée de la Souabe et d'une partie de la Franconie, devint royaume,avait un frère cadet, le duc Pie Auguste, dont le fils est le duc Maximilien, né à Bamberg le 4 décembre 1803. Il épousa une des filles du fondateur du royaume bavarois ; ses autres cousines, la reine Elisabeth de Prusse, les reines Marie et Amélie de .Saxe, et l'archiduchesse Sophie d'Autriche (mère de François-Joseph), sont descendues dans la tombe.
    Cette union fut bénie du Ciel : huit enfants sont nés et entourent aujourd'hui les jubilaires. Tous ont donné des rejetons, qui font la joie et l'orgueil des châtelains de Possenhofen,
    Leur fille aînée, la princesse Hélène, veuve du prince héréditaire de Thurn et Taxis, a un fils le prince Maximilien. Leur seconde fille est devenue impératrice d'Autriche. 
    Les deux princesses Marie et Mathilde. ont épousé deux frères : le roi François II de Naples et le comte Louis de Trani. Enfin leur cinquième fille, la princesse Sophie, est mariée avec le duc d'Alençon, second fils du due de Nemours.
    Le fils aîné du couple ducal, le prince Louis, a renoncé aux droits de succession dans le majorat en laveur de son frère cadet Charles-Théodore, et a épousé morganatiquement la baronne Henriette de Wallersee, née Mendel.
    Le prince Charles-Théodore, veut de la princesse Sophie, la plus jeune des filles du feu roi Jean de Saxe, s'est remarié, à Klein-Heubach, avec l'infante Marie-Josèphe, fille du prince Miguel de Portugal. Enfin, leur troisième fils, le prince Maximilien-Emmanuel, le dernier-né des huit enfants, est le mari de la-princesse Amélie, fille du prince Auguste de Saxe-Cobourg-Kobary.
   Cette belle lignée a, comme l'on voit, des ramifications dans les plus illustres maisons régnantes. Le chef, quoique octogénaire, est un vieillard robuste, à l'intelligence toujours vive, au cœur toujours généreux.
   Élevé avec sollicitude sous les yeux de son aïeul, le duc Guillaume, le jeune duc Maximilien fréquenta l'Université de Munich. L'histoire, l'économie politique, les sciences naturelles, furent ses études de prédilection. A sa majorité, en 1827, il entra dans le conseil de l'empire et fut attaché à l'armée bavaroise; mais il n'aspira jamais à devenir homme d'Etat ou capitaine, et ce n'est qu'à titre nominal qu'il est général de cavalerie et propriétaire du 3e régiment des chevau-légers. N'étant pas placé assez près du trône pour pouvoir jamais y prétendre, pour lui ou pour les siens, il trouva sa vocation et son bonheur en. s'adonnant, dans la retraite, l'étude de ses sciences de prédilection et en cultivant les muses. La princesse, qui est sa compagne dévouée depuis soixante ans, a été surnommée, depuis longtemps, "l'ange du foyer et des hameaux".
   " L'amour maternel, la piété et la charité, voilà le bréviaire de la femme ", se plaît à répéter la vénérable duchesse en Bavière.
    Le château de Teger, dans la montagne, et Possenhofen, sur le lac de Starnberg, ont été toujours les résidences favorites où, chaque année, pendant les beaux jours d'été ou d'automne, les membres de la famille viennent oublier les soucis du trône et se reposer des fatigues de la vie de Cour. Le duc Maximilien a entrepris plusieurs fois de lointains voyages en Grèce, en Egypte, en Nubie et en Palestine. Il a raconté son intéressante excursion jusqu'à la seconde cataracte du Nil, dans un livre que j'ai lu ces jours derniers à la Bibliothèque nationale ; le récit, après un demi-siècle, a gardé toute sa fraîcheur d'impressions.
    Le duc s'est révélé aussi poète il à publié, sous le pseudonyme de Phantasus, plusieurs poèmes et des nouvelles où la fantaisie et l'humour alternent avec le sentiment de la nature et la connaissance du cœur humain. Ses inclinations poétiques furent le prétexte d'excursions à l'infini dans les montagnes de la Haute-Bavière, où le duc jouit depuis tant d'années d'une rare popularité.
    C'est au cours de ces pérégrinations que le duc Maximilien a recueilli les chants populaires, que chantent les chasseurs de chamois et les pâtres, les rouliers et les bûcherons; tous, ils connaissent le duc Maximilien comme un des leurs ; ils lui adressent la parole dans leur dialecte, et le prince se plaît à causer avec eux familièrement. Ils l'estiment comme un protecteur, un ami de leurs chansons nationales et aussi de la mandoline le duc en joue dans la perfection.
    II a fait acte de Mécène en répandant à profusion les recueils de ces poésies et mélodies nationales, auxquels il a vaillamment collaboré. 
    Sa plus grande joie est d'entendre, pendant ses promenades, les moissonneurs et les moissonneuses chanter quelque chanson, dont il a écrit lui-même le texte et composé la musique.
   Que de souvenirs dans le Tusculum du lac de Teger pour le duc et la duchesse en Bavière ! Ils revoient, en se reportant vers le passé, les cinq princesses, rivalisant de grâce et de beauté, et qu'ils appelaient dans la conversation : Unsere Mädeln (nos fillettes).
     A la promenade, le duc les montrait avec fierté, en disant : « Voilà mon attelage de poste » Et, lorsque la première se fut mariée, il ajoutait, en riant « Je ne peux plus me promener, maintenant, qu'avec un attelage à quatre. »
   L'installation du château n'a subi, jusqu'à ce jour, aucun changement ; elle est d'une simplicité touchante : chacune des filles n'y avait qu'une seule chambre ; les meubles sont recouverts de cretonne claire ; un petit clavecin se trouve dans une embrasure.
    Le passant, dans la matinée, entendait souvent à travers les fenêtres, des gamines : c'était la future impératrice d'Autriche, la reine de Naples ou la duchesse d'Alençon, qui répétait dès l'aube sa leçon de piano.
     Après le dîner, les jeunes princesses ramaient ; elles organisaient quelquefois des courses en canots sur le lac ; la victoire était saluée par les cris joyeux des montagnards et des riverains.
    Un jour, Elisabeth, plus tard impératrice d'Autriche, s'égare dans la forêt ; elle avise bravement un vieux bûcheron, prend son bras et s'en retourne ainsi, à la grande stupéfaction des touristes, au château.
   Cette existence si calme est parfois interrompue par de brillantes réceptions ; c'est le Czar et le souverain d'Autriche-Hongrie et aussi tous les princes des dynasties régnantes qui viennent rendre visite à l'auguste châtelain de Possenhofen. Les montagnes et les lacs sont alors féeriquement illuminés en leur honneur. Soixante ans se sont écoulés ; que de transformations dans le monde pendant ces douze lustres! 
    L'illustre couple assistera, comme dans un beau rêve, en évoquant les souvenirs du passé, au premier jour de mariage, à ces jours remplis de félicité où la même forêt murmurait au-dessus de leurs têtes, où les mêmes vagues déferlaient à leurs pieds.
    Dans les annales du lac de Teger, la date du 9 septembre 1888 sera gravée en lettres de diamant. La solennité sera unique en son genre depuis onze siècles, depuis qu'Otkar et Adalbert* ont inscrit pour la première fois ce mot, rempli de l'azur des vagues et de rayons de soleil : Tegarinseo**.

MICHEL KANNER

* Fondateurs,  en 746, de l'abbaye de Tegernsee.
** Tegarine seo signifie « vieux lac ».

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