mardi 31 mai 2022

Sic transit gloria mundi — La mort de Sissi dans À la recherche du temps perdu

 

Dans Le côté des Guermantes, la troisième partie d' À la recherche du temps perdu (huitième tome de l'édition NRF de 1919), le narrateur est invité pour la première fois à dîner chez le duc et la duchesse de Guermantes. La duchesse anime la soirée en faisant de l'esprit, ce qui consiste essentiellement à dire du mal de personnes connues des convives. On le lira, elle ne recule devant aucune méchanceté, et ne fait preuve d'aucune retenue lorsqu'elle parle des disparus. À un moment, son mari avance que leur neveu, le marquis de Saint-Loup, parle latin :
[...] — Il parle latin, enchérit le duc.
— Comment, latin ? demanda la princesse.
— Ma parole d’honneur ! que Madame demande à Oriane si j’exagère.

— Mais comment, madame, l’autre jour il a dit dans une seule phrase, d’un seul trait : « Je ne connais pas d’exemple de Sic transit gloria mundi plus touchant » ; je dis la phrase à Votre Altesse parce qu’après vingt questions et en faisant appel à des linguistes, nous sommes arrivés à la reconstituer, mais Robert a jeté cela sans reprendre haleine, on pouvait à peine distinguer qu’il y avait du latin là dedans, il avait l’air d’un personnage du Malade imaginaire ! Et tout ça s’appliquait à la mort de l’impératrice d’Autriche !

— Pauvre femme ! s’écria la princesse, quelle délicieuse créature c’était.

— Oui, répondit la duchesse, un peu folle, un peu insensée, mais c’était une très bonne femme, une gentille folle très aimable, je n’ai seulement jamais compris pourquoi elle n’avait jamais acheté un râtelier qui tînt, le sien se décrochait toujours avant la fin de ses phrases et elle était obligée de les interrompre pour ne pas l’avaler.

[...]

Un peu plus avant, il est question de la reine de Naples, la soeur de Sissi, que la princesse de Parme, présente à ce dîner, dit devoir visiter :

[...]

« Il faut justement que j’aille voir la reine de Naples, quel chagrin elle doit avoir ! » dit, ou du moins me parut avoir dit, la princesse de Parme. [...].

— Ah ! non, répondit la duchesse, ça, je crois qu’elle n’en a aucun.

— Aucun ? vous êtes toujours dans les extrêmes, Oriane, dit M. de Guermantes reprenant son rôle de falaise qui, en s’opposant à la vague, la force à lancer plus haut son panache d’écume.

— Basin sait encore mieux que moi que je dis la vérité, répondit la duchesse, mais il se croit obligé de prendre des airs sévères à cause de votre présence et il a peur que je vous scandalise.

— Oh ! non, je vous en prie, s’écria la princesse de Parme, craignant qu’à cause d’elle on n’altérât en quelque chose ces délicieux mercredis de la duchesse de Guermantes, ce fruit défendu auquel la reine de Suède elle-même n’avait pas encore eu le droit de goûter.

— Mais c’est à lui-même qu’elle a répondu, comme il lui disait, d’un air banalement triste : Mais la reine est en deuil ; de qui donc ? est-ce un chagrin pour votre Majesté ? « Non, ce n’est pas un grand deuil, c’est un petit deuil, un tout petit deuil, c’est ma sœur. » La vérité c’est qu’elle est enchantée comme cela, Basin le sait très bien, elle nous a invités à une fête le jour même et m’a donné deux perles. Je voudrais qu’elle perdît une sœur tous les jours ! Elle ne pleure pas la mort de sa sœur, elle la rit aux éclats. Elle se dit probablement, comme Robert, que sic transit, enfin je ne sais plus, ajouta-t-elle par modestie, quoiqu’elle sût très bien.

D’ailleurs Mme de Guermantes faisait seulement en ceci de l’esprit, et du plus faux, car la reine de Naples, comme la duchesse d’Alençon, morte tragiquement aussi, avait un grand cœur et a sincèrement pleuré les siens. Mme de Guermantes connaissait trop les nobles sœurs bavaroises, ses cousines, pour l’ignorer. [...]

Le jugement du narrateur vient de tomber : la duchesse faisait seulement de l'esprit, et du plus faux !

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